The politics of black women's hair
THE POLITICS OF BLACK WOMEN’S HAIR, ALTHEA PRINCE. INSOMNIAC PRESS. 2009.
Althea Prince est sociologue, essayiste et écrivain.
Son livre n’a pas été traduit en français mais le sera peut-être un jour, qui sait ? C’est la raison pour laquelle je me permets de vous en faire un résumé détaillé. J’ai un anglais toujours aussi laborieux mais je trouve intéressant de partager ce que j’ai pu comprendre de cette lecture.
C’est assez étrange de rapprocher les mots politique et cheveux des femmes noires. Mais effectivement, lorsqu’on lit certains passages, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une dimension politique dans le fait de porter ses cheveux au naturel. Il y a une part de revendication consciente ou inconsciente là-dedans du fait de ne pas accepter une norme établie. Il y a là aussi, je crois, quelque chose qui se rattache au féminisme. Il est, malgré ce que je lis souvent sur quelques blogs, difficile de se limiter à une dimension uniquement esthétique quand on sait ce que garder ses cheveux au naturel peut impliquer dans la sphère sociale. Le regard des autres peut être difficile à vivre. Il peut y avoir une discrimination accentuée en fonction du domaine professionnel dans lequel on évolue. Il y a un passé historique lié au port du cheveu crépu naturel puisque, porter l’afro dans les années 60/70, était clairement une marque de revendication, de lutte pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis.
Althea Prince analyse la façon dont les cheveux crépus sont perçus, jugés et évalués selon des standards de beauté spécifiques auxquels ils ne peuvent se conformer sans subir une transformation mécanique ou chimique. Elle tente de mesurer l’impact que cette vision de leurs cheveux a sur la vie émotionnelle des femmes et jeunes filles noires. Elle a interviewé des Canadiennes, des Caribéennes, des Anglaises, des Américaines et des Sud Américaines. Elle nous livre sa propre expérience à la fois de femme, de mère et de sociologue, évoquant des souvenirs d’enfance liés à sa chevelure. Elle insiste sur l’idée que les temps de coiffage peuvent devenir un moyen de créer des liens très forts entre mère et fille.
Le livre se compose de réflexions de l’auteur, de son propre témoignage et de témoignages de femmes et de leurs filles. Althea Prince rapporte également ce que j’appellerai des sortes de « faits divers » autour des cheveux crépus, qui ont attiré son attention et lui ont donné à réfléchir.
La relation qu’entretiennent les femmes noires avec leur chevelure est souvent complexe et on peut en parler en utilisant le mot parcours.
Pourquoi ? A cause de la pression exercée sur les femmes par certains modèles de beauté avec lesquels elles ne cadrent pas au naturel. S’ensuivent parfois, de véritables actes agressifs envers leur chevelure. Certaines ne vivent pas cet attribut ainsi et le fait qu’elles communiquent sur leur façon positive de le considérer tel qu’il est peut être utile aux autres femmes.
Quelquefois, les femmes qui portent leurs cheveux crépus au naturel, sont suspectées d’être radicales, progressistes voire même, lesbiennes. Les femmes qui portent leurs cheveux défrisés sont supposées être conservatrices.
L’idée du livre est de travailler à ce que les cheveux des femmes noires soient juste considérés comme une partie de leur corps et ne soit plus stigmatisés.
La façon dont l’auteur aborde son sujet est davantage affective que scientifique et nous renvoie à nous mêmes. Même si elle prêche pour le port du cheveu crépu naturel, son livre ne se veut pas agressif et ne vise pas à condamner les femmes qui défrisent leurs cheveux ou les camouflent car le contrôle hégémonique des standards de beauté a déjà fait tant de dommages que ce n’est pas la peine d’en rajouter en attaquant les femmes sur la manière dont elles se coiffent.
L’auteur fait référence au roman de Toni Morrison : « L’œil le plus bleu » dans lequel une jeune fille noire rêve d’avoir les yeux bleus, symbole pour elle de la beauté. Du fait de ne pouvoir accéder à ce désir, elle finira folle. Elle rapproche ce désir fou d’avoir les yeux bleus à ce besoin que nous avons, nous femmes noires ou métissées d’avoir absolument les cheveux raides alors que leur nature est de ne pas l’être.
Elle insiste sur cette vérité : la beauté ne peut se mesurer à une seule aune. Il ne peut y avoir de canon de beauté unique.
Elle affirme que chacun arrive au monde beau tel qu’il est.
Elle nous raconte ses souffrances de petite fille se faisant coiffer. Il s’agit de véritables séances quotidiennes de torture car les tresses que lui faisait la jeune coiffeuse payée par sa mère étaient si serrées qu’elle n’arrivait pas à sourire. Il lui était impossible de dormir normalement car le moindre contact avec l’oreiller était douloureux. Elle se réveille avec la nuque raide. Le pire est qu’elle met plusieurs jours à oser se plaindre de la douleur ressentie.
Elle se promet que, si un jour elle a une fille, elle se débrouillera pour que le coiffage ne devienne pas pour son enfant synonyme de souffrance. Lorsque sa fille naît, elle s’applique donc à tenir cette promesse et recherche des outils et des produits en conséquence : brosse douce, shampooing qui ne pique pas les yeux… Et elle les utilise avec douceur. Elle a fait des moments de coiffage des instants de joie durant lesquels elle discute avec sa fille de choses drôles ou merveilleuses. Elle est ainsi parvenue à rompre un cycle douloureux et surtout à faire que son enfant ne considère pas ses cheveux comme un problème.
Lors de conversations avec des jeunes filles noires de Toronto, l’une d’entre elles lui explique que pour beaucoup de personnes, les cheveux naturels ont une connotation lesbienne tandis que les longs cheveux défrisés sont considérés comme beaux et féminins. Les femmes sont catégorisées selon leur style de coiffure. Celles qui portent les cheveux naturels courts sont vues comme engagées politiquement, fortes, peut-être hargneuses et peut-être lesbiennes.
Une jeune étudiante, Taija Ryan, explique : on porte ses cheveux naturels lorsque l’on est enfant. Arrivée à un certain âge, on les défrise. Ils sont ainsi plus faciles à coiffer et beaux. Beaux cheveux = cheveux défrisés. Le rêve est d’avoir des cheveux lisses. Le cheveu crépu naturel est relié de manière péjorative à l’Afrique et le porter tel quel laisse à penser que l’on est pro-Africain, pro-naturelle, pro-Black. Si l’on va à un entretien d’embauche avec ses cheveux naturels, ils peuvent donner de nous l’image d’une personne qui passe son temps à revendiquer, qui ne se laissera pas manager. Pourtant, dans le domaine de la séduction, elle estime que les hommes n’aiment pas les femmes avec des tissages. Ils aiment les femmes avec les cheveux naturels même si les femmes pensent le contraire.
Une autre jeune femme dit que certains hommes noirs ont été conditionnés à ne pas aimer les cheveux des femmes noires.
Certaines critiquent le fait de parler autant des cheveux des femmes noires mais en même temps, reconnaissent qu’il y a matière à discuter puisque l’on considère qu’être défrisée, c’est avoir l’air plus professionnel, « moins noir ». Il y a donc bien un problème avec les cheveux naturels. Ca me fait penser à une expression en créole qui dit en substance « déjà que tu es noir, ne va pas en rajouter avec un autre défaut ».
Les garder ainsi peut être associé à l’idée d’un laisser aller. Par exemple, les locks sont populaires chez les jeunes au chômage, ce qui donne à cette coiffure une mauvaise réputation.
Nina, un autre témoin, raconte que lorsqu’elle porte des extensions, les gens viennent plus vers elle. Elle est davantage encore abordée lorsqu’elle porte un tissage. En revanche, lorsqu’elle est au naturel, moins d’hommes viennent vers elle et ceux qui lui parlent ont souvent des locks. Pour elle, les hommes ne sortent pas avec les naturelles. C’est pour cela que les femmes hésitent à rester naturelles. Si elles sont en couple, elles pensent que leur compagnon va les quitter. Si elles sont seules, qu’elles n’attireront personne. Les hommes noirs aimeraient les femmes à longs cheveux même s’ils sont faux. Les cheveux crépus évoqueraient pour eux l’idée de doigts qui restent coincés. Nina met en cause les médias, l’image qu’ils donnent de la femme noire, une image qui n’a rien à voir avec celle de la jeune femme de tous les jours qui se sent laide en regard de ces modèles.
Andrea Oliver évoque l’idée d’un voyage capillaire qu’elle partage avec sa fille. Elle se souvient d’une expérience d’enfance très douloureuse : elle s’était armée de courage pour aller à l’école avec ses cheveux nattés, arborant des perles argentées le long d’une frange de nattes. Quand elle arrive en cours, le professeur s’exclame : « Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? » Il la pointe du doigt et se moque d’elle. Toute la classe s’y met. Honteuse, elle espère que la terre va l’avaler ou que la foudre va s’abattre sur elle.
Pour Glenda Prince, avoir les cheveux défrisés signifie passer des heures dans un salon de coiffure, porter des rouleaux la nuit pour avoir une belle mise en plis. Avec le recul, elle trouve débilitant de porter les cheveux défrisés. C’est une vraie contrainte et de plus, si la personne qui fait le défrisage s’y prend mal, il y a brûlure du cuir chevelu.
Le témoignage d’Itah m’a rappelé un jeu auquel je me livrais moi aussi, enfant. Je me mettais un foulard en satin sur la tête et faisais comme s’il s’agissait de longs cheveux soyeux. Elle, se mettait une serviette blanche ou jaune sur la tête, se donnant l’illusion qu’elle avait ainsi une longue chevelure lisse. Elle raconte qu’elle traitait ses poupées blanches avec attention et amour et fessait ses poupées noires parce qu’elles étaient noires et n’avaient pas de bons cheveux, blonds et soyeux.
Le standard actuel est bel et bien avoir les cheveux lisses que ce soit par le biais d’un défrisage, d’un tissage, d’extensions ou d’une perruque.
Althea Prince précise que son parcours (naturel, défrisage, retour au naturel et coupe à la garçonne puis locks) et celui de chacune est spécifique mais qu’un élément commun à toutes les femmes noires est que le cheveu crépu n’est pas considéré comme beau et doit être défrisée. A l’adolescence, on va tout faire pour être « belle » et pour cela se conformer à la norme dominante.
Un chapitre du livre est consacré à Michelle Obama, la première dame des Etats-Unis. Beaucoup de femmes noires portent ce jugement sur sa chevelure : si elle portait ses cheveux au naturel, cela ferait « trop noir », ce serait presque agressif donc pas acceptable, voire offensant ! En 2008, une caricature la montrait, portant un afro, une arme à l’épaule, cognant Barack Obama, habillé de vêtements musulmans.
Voici pour finir, quelques uns des « faits divers » autour des cheveux crépus, parfois assez étonnants relevés par Althea Prince :
En 2007, un catalogue listait des produits de défrisage, promettant aux femmes noires la libération avec ces mots : « Rien ne peut plus booster la confiance en soi d’une femme que de porter les cheveux dont elle a toujours rêvé mais qu’elle n’a jamais pu avoir. »
En 1998, Michelle Barskile, une jeune fille de dix-sept ans vivant en Caroline du Nord, n’a pu assister au bal des débutantes organisé par sa communauté parce qu’elle portait des dread locks.
En 2006, Susan L. Taylor, éditeur exécutif d’Essence Magazine, a appris qu’un département de l’université d’Hampton en Virginie, avait une politique stricte concernant certaines coiffures : pas de nattes ni de locks pour ses étudiants. Elle a annulé un engagement avec l’université. Portant elle-même des nattes, elle s’est sentie insultée par cette mesure.
En 2005, une jeune fille blanche de 13 ans, Olivia Acton, retourne à l’école, après des vacances dans les Iles Canaries, avec les cheveux tressés. Elle est renvoyée, sa coiffure n’étant pas conforme au code de bonne tenue de l’école. En revanche, c’est admis pour les élèves noirs, car cela fait partie de leur culture.
En 2007, Zarah Redwood, vingt-cinq ans, est élue Miss Jamaïque. C’est la première Rastafari à obtenir ce titre.
En 2007, le parti progressiste uni d’Antigua et de la Barbade, dans les Caraïbes, interdit le port des tissages et des extensions dans les écoles élémentaires et secondaires.
En avril 2006, une juge américaine est remplacée dans une émission télévisée car elle refuse de porter une perruque. Elle en portait une car ses cheveux avait été brûlés suite à un défrisage. Ses cheveux ayant repoussé, elle ne voulait plus cacher son crâne sous une perruque.
« Les femmes noires dépensent six fois plus dans les produits pour cheveux que les femmes blanches, selon L’Oréal ».
Chris Rock a osé déclarer publiquement que les cheveux des femmes noires coûtaient plus cher que tout ce qu’elles portaient.
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