Cheveux crépus, arrêtons le massacre !

Pour la première fois depuis deux ans, Aboubakar Traoré a réenfilé son costume marine de steward d'Air France, celui qui était le sien pendant plus de dix ans. Jusqu'à ce que son employeur juge sa nouvelle coiffure trop peu classique et surtout pas réglementaire, qu'il tombe en dépression et qu'il soit jugé inapte par la médecine du travail.confie Aboubakar Touré, 40 ans, devant la salle 5 du conseil de prud'hommes de Bobigny, plein d'espoir à l'idée d'être enfin réintégré. Il attaque Air France pour discrimination et atteinte à la dignité. Hier, une commission de départage a examiné sa requête.

C'est en photos que le parcours professionnel d'Aboubakar Touré se comprend le mieux. A son embauche en CDI en 1999, il a les cheveux courts. « On me disait que c'était trop court à l'époque, dit-il. En 2005, j'ai décidé de me laisser pousser les cheveux, et là on m'a dit que ça n'allait pas parce que ce n'était pas assez classique, mais pour qui ? A force de remarques j'étais à fleur de peau, j'ai fait une dépression, j'ai repris le travail en 2007, et la seule solution que j'ai trouvée c'est de porter une perruque aux cheveux lisses par-dessus, tout le monde me regardait bizarrement, mais c'était la seule solution pour travailler. » Un matin, la perruque se déchire et Aboubakar Touré s'est présenté au naturel, sans postiche. On lui a refusé l'embarquement. Plusieurs fois, malgré des chignons et coiffures rassemblant les cheveux . A suivi cette mise à pied de cinq jours, en mai 2012. Cette sanction l'a conduit à saisir les prud'hommes.

Pour lui, il en va de son identité. « Ça veut dire quoi ? Ça ne cadre pas avec l'image d'Air France ? Il faut sortir des clichés, du rasta avec ses dreadlocks, fumeur de joint, j'ai le droit de changer de coiffure. » Il avait déjà saisi la Halde, en 2009 qui en 2011 a fait un certain nombre de recommandations à la compagnie. Dans le règlement, il n'est plus question de style classique mais de « cheveux coiffés net, limité en volume, gardant un aspect naturel et homogène, limité en longueur au col de la chemise », rappelle l'avocate du steward, M^e Houria Amari, qui réclame la réintégration de son client à son poste après accord médical, 50 000 EUR de dédommagement pour discrimination et des rappels de salaire.

« On a imposé à cet homme de cacher la nature de ses cheveux, c'est une atteinte à son intégrité, on ne veut pas voir de cheveux crépus dans les avions ! » plaide-t-elle à la barre. L'avocate de SOS Racisme abonde dans ce sens et réclame un euro symbolique.

L'avocat d'Air France s'étrangle. « C'est un procès choquant, depuis 80 ans, la compagnie est par définition tournée vers l'extérieur, 60 % des clients viennent d'autres pays que la France, et sur 20 000 navigants commerciaux, plusieurs milliers sont d'origine non caucasienne (NDLR : non européenne) », enchaîne M^e Baudouin de Moucheron. « Le manuel interdit d'avoir des cheveux longs, qu'ils se mettent en dread ou en tresses c'est pareil, cela concerne toute la population masculine, d'Air France, qu'ils soient africains, asiatiques, caucasiens, toutes et tous sauf un le respectent. » Les prud'hommes rendront leur décision le 10 juin.

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